Discrimination pour infertilité : Il faut lever le tabou et mettre fin à ces accusations

La maternité fait partie des événements les plus célébrés dans la vie d’une femme. Alors qu’elle intervient de plus en plus tard dans la vie de beaucoup de femmes, certaines n’ont jamais pu tomber enceinte ou porter une grossesse.

Parmi celles-ci, peu sont celles qui arrivent à s’armer de patience et garder le moral, face aux regards accusateurs. Ferventes, certaines s’accrochent au divin et s’abonnent à la prière pendant que d’autres, abattues et sans soutien moral, sombrent dans la dépression.

L’infertilité est, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’incapacité d’obtenir une grossesse après 12 mois ou plus de rapports sexuels réguliers non protégés. L’OMS indique qu’une personne sur six est touchée par l’infertilité dans le monde. En Afrique, c’est 16,4 % des couples subsahariens qui y sont confrontés.

Elle peut entraîner une détresse majeure, de la stigmatisation et des difficultés financières, affectant le bien-être mental et psychosocial des personnes concernées. Plusieurs familles se sont disloquées faute de bébé, et la compréhension tant attendue dans les couples ayant ces difficultés, n’est pas toujours au rendez-vous. Dans ces situations, la personne indexée est presque toujours la femme.

Des accusations, humiliations, un découragement

Joséphine, responsable d’entreprise explique ce qu’elle a vécu.

« Au début on se consolait mutuellement en disant que le prochain test sera positif. La déception a commencé par gagner nos esprits puis, en l’espace de trois ans, j’ai progressivement perdu le soutien et la solidarité de mon époux… Le fait de ne pas avoir jusque-là donné un enfant à l’aîné de la famille était mal vu. Quand ma belle-mère est venue s’installer, tomber enceinte était devenu pour moi une obsession… », raconte la jeune dame de 34 ans.

Parfois, entendre ses autres belles-filles rire, me donnait l’impression qu’elles se moquaient de moi. Bien-sûr, ça leur arrivait d’appeler leurs enfants à longueur de journée, juste pour me mettre mal à l’aise, ajoute-t-elle.

L’infertilité est perçue en Afrique et surtout au Togo comme une malédiction et est souvent imputée à la femme. Beaucoup de couples se sont séparés ou vivent ensemble malgré eux, en raison d’une absence d’enfant après un an de vie commune. Certains hommes vont enceinter une autre femme surtout si les beaux-parents s’en mêlent.

« Moi, j’ai fait quatre ans de vie conjugale avant mon premier enfant. J’ai subi toutes sortes de mépris, j’ai dû fuir certaines de mes cousines et amies. Alors que mon beau-père m’invitait à la patience, son épouse touchait régulièrement mon ventre et me disait que j’avais sûrement des fibromes. Mon mari lui, poussait des jurons chaque fois qu’il revenait d’un baptême. Etant de la santé, je n’ai pas eu du mal à me faire traiter, mais aucun traitement n’a marché! A un moment donné, j’ai décidé de tout abandonner et d’ignorer tout ce qui ne m’avantageait pas. Je me suis retrouvée enceinte quelques mois après », s’est réjouie Adjo aide soignante.

Si le fait de ne pas tomber enceinte est une douleur pour bon nombre de femmes qui passent leur temps à prier, il est à noter que l’entourage non plus, ne leur est pas favorable, de sorte que certaines d’entre-elles hésitent à sortir de leur maison, de peur d’être regardées de travers par leur congénères, … Pouratnt la législation relative aux droits de la personne a pour but de prévenir les affronts à la dignité humaine en éliminant les obstacles et en s’assurant que tous les membres de la collectivité ont la même possibilité de vivre à l’abri de la discrimination.

« Oui, c’est malheureusement la triste réalité ! », a déploré Mme Sandrine Issifou, présidente de l’ONG BAARI une association qui œuvre pour le bien-être mental et social des personnes en situation d’infertilité ou de stérilité.

« Cette problématique est un lourd fardeau que la majorité de l’opinion, en Afrique et ailleurs, s’accorde à faire peser sur la femme, alors seule responsable de l’impossibilité de perpétuer la lignée », a-t-elle souligné.

La question de discrimination pour infertilité est une question de droits humains, qui doit souvent faire l’objet de débats, de colloques et de conférences dans toutes les nations car, beaucoup de femmes subissent des maltraitances morales et leur dignité est bafouée. Cette méprisante attitude ne cesse de dévaloriser la femme, créant en elle un sentiment d’être inutile. Et l’Etat doit accroitre la protection des femmes souffrant de discrimination pour cause d’infertilité.

Il faut briser la glace et protéger les femmes

« Nous sommes nombreuses à affronter la douloureuse question de l’infertilité, de la stérilité. S’il est vrai que partout dans le monde ce fléau n’épargne personne, en Afrique, le malaise de cette situation est plus prononcé et assez sensible. Brisons le mythe, délions les langues, rompons les barrières sociales ! que vos regards et vos paroles ne nous empêchent plus de vivre… », a martelé Mme Issifou.

La question demeure préoccupante, quand on voit ces femmes rayonnantes et gaies, perdre le sourire après quelques années au foyer, un amour qui perd son goût.

« Un amour acide, un amour amer, une amertume prononcée. Depuis 2011 jusqu’à ce jour, je suis à la recherche du fruit des entrailles. j’ai déjà fait une grossesse extra utérine, et cela m’a coûtée une trompe. Avec mes 40 ans aujourd’hui, je suis toujours à la recherche de solutions, pour mon propre moral et aussi me libérer des regards accusateurs. C’est parfois invivable: trop d’humiliation, que les gens nous laissent en paix », s’est plainte Ayawa en langue locale.

« Nous leur donnons beaucoup de courage et d’espoir en nous basant sur les saintes écritures… Certaines nous reviennent avec le sourire. Ces cas sont légion dans les églises. Des femmes viennent se plaindre de la discrimination familiale suite à une infertilité. Elles viennent solliciter des prières car psychologiquement abattues. Le facteur environnement est un gros handicap et les autorités doivent se pencher dessus », nous a confié un religieux.

Jacques (dont le couple a aussi traversé cette difficulté) conseille la patience et le recours à un traitement médical suivi: « La précipitation amène parfois les femmes à ne pas suivre correctement leur traitement. Et elles changent très vite de médecin. Par ailleurs, je crois qu’il faut donner la priorité au couple et renforcer les liens. Consulter une psychologue est pour moi, une option à ne pas négliger, vu que la question est stressante et que même le stress peut être une entrave à la conception… ».

Pour Dr Toovi (médecin en santé sexuelle et reproductive), il ne faut pas négliger l’aspect psychologique. Savoir quand s’inquiéter, quand consulter et qui consulter : le couple peut voir un médecin dès six mois de tentatives infructueuses. Faire régulièrement des tests de dépistage des infections sexuellement transmissibles », a conseillé Dr Toovi, qui a souligné qu’il est important d’éviter le tabac, l’alcool la drogue. Manger moins gras et faire régulièrement le sport est un atout.

— L’écoute, les conseils, l’orientation

Selon la présidente de l’ONG BAARI, les femmes sont celles qui portent le poids des yeux accusateurs et de marginalisation, ce qui constitue un frein pour leur épanouissement.

« Nos activités visent essentiellement à renforcer la santé mentale des femmes, des hommes et couples en situation d’infertilité et leur apporter un soutien moral, matériel, médical  et financier. Nous disposons d’une cellule d’écoute qui peut se déplacer jusqu’à vous. Il suffit d’appeler l’association et notre équipe va se déplacer vers vous, pour vous écouter dans le respect de votre dignité et en toute confidentialité », a expliqué Mme Issifou.

Ambroisine MEMEDE