Mme Kanny Sokpoh Diallo : « Le Togo ne peut pas se construire sans la réconciliation et nous savons que c’est un processus long »

Ancienne ministre, Mme Kanny Sokpoh Diallo dirige depuis quelques semaines, une « Plateforme citoyenne Justice et Vérité », pour coordonner les activités de la société civile pour une réconciliation durable au Togo. Mais quels sont les missions et objectifs dévolus à cette Structure ? L’Agence Savoir News s’est rapprochée de Mme Sokpoh Diallo. Lisez plutôt.

Savoir News : Pourquoi avoir accepté de présider cette plateforme

Mme Kanny Sokpoh Diallo

: J’ai été invitée au forum du CACIT en tant que personnalité indépendante et une personne ressource. Vous savez très bien qu’en 2005, il y a eu beaucoup de violences qui se sont passées dans notre pays. Et j’étais la ministre des affaires sociales qui a eu la charge de m’occuper des victimes de ces violences. C’est aussi dans ce cadre que j’ai été contactée comme personnes ressources et vous savez aussi bien que cela fait six ans que je ne mène plus aucune activité politique. J’ai jugé bon accepter cette responsabilité pour mettre ma modeste contribution à la disposition de toutes ces personnes de la société civile qui croient encore qu’au Togo, on peut se parler quelles que soient nos divergences.

Savoir News : Est-ce qu’on peut savoir les missions et les objectifs dévolus à votre Structure ?

Mme Kanny Sokpoh Diallo : Les objectifs, c’est de créer les conditions au Togo pour qu’il y ait une réconciliation, une véritable réconciliation durable. Et vous savez que suite à l’Accord Politique Global (APG), l’une des décisions était de créer une commission pour essayer de réconcilier les togolais. C’est dans ce cadre que cette commission a été créée. En matière de justice transitionnelle, la société civile que nous composons, joue un grand rôle. Notre Plateforme aura pour rôle, non seulement d’accompagner les travaux de la commission vérité, justice et réconciliation (CVJR), mais aussi suivre après, les recommandations qui seront formulées par la CVJR , faire un plaidoyer au sein des leaders d’opinion pour que, beaucoup plus de togolais adhèrent à la notion de réconciliation, afin que chaque togolaise et togolais comprennent que, notre pays a besoin de se réconcilier pour aller de l’avant. D’autre part, nous avons comme objectif, de sensibiliser la grande population sur la notion de pardon et de réconciliation. Nous voudrions accompagner les victimes dans le processus de réparation. Ce sont là, quelques grandes lignes des actions que nous mènerons au niveau de la plateforme que je préside dans les jours à venir.

Savoir News : Comment se fera la sensibilisation ? Vous irez vers les populations ?

Mme Kanny Sokpoh Diallo : Nous avons tout un projet que nous avons élaboré, mais permettez-moi de ne pas les dévoiler. Nous n’entendons pas nous cantonner uniquement sur les médias de Lomé. Nous allons couvrir tout le territoire et je vous dis que des projets sont prêts dans ce sens.

Savoir News : Les auditions de la CVJR ont démarré depuis et actuellement, ce sont les villes de l’intérieur qui accueillent la Commission. Quelle appréciation faites-vous des témoignages recueillis ?

Mme Kanny Sokpoh Diallo : C’est déjà un pas vers la réconciliation nationale. Vous savez, pour comprendre certaines choses, je vais revenir sur la notion de justice transitionnelle. Il y a quatre éléments clés de ce qu’on appelle « justice transitionnelle ». C’est quoi en fait ? Dans un pays où il y a eu beaucoup de violences ou des problèmes liés aux violations des droits de l’homme, il existe trois solutions pour régler ces problèmes, afin que la réconciliation soit une réalité. Soit il faut juger les présumés coupables, soit il faut décréter une amnistie générale, soit il faut enfin emprunter la voix de la justice transitionnelle.

Si l’on décide d’emprisonner les auteurs ou présumés auteurs, il y a toujours problème parce que certains se diront qu’ils ont été injustement arrêtés pour les faits dont on les accuse. Si l’on décrète une amnistie générale, il y aura des victimes dont le cœur ne sera pas apaisé. La justice transitionnelle se présente dans ces situations comme l’une des options pour concilier les deux cas précités. Cette justice transitionnelle comprend donc quatre éléments : le droit à la vérité, le droit à la justice, la réparation et les réformes institutionnelles. Il faut souligner que les pays dans lesquels ces violences ont eu lieu, c’est surtout le caractère des institutions de la République qui a été mis en cause. Donc, si on parle de réformes institutionnelles dans le cadre de la justice transitionnelle, c’est pour prévenir tout ce qui s’est passé pour qu’on n’en n’arrive aux violences et violations de droit de l’homme. Pour revenir à votre question, les audiences qui se passent au Togo, je dis que, c’est un grand pas. On aurait souhaité que ça soit mieux organisé. Qu’on donne peut être plus de temps à la CVJR pour que les personnes enregistrées parlent. On aurait souhaité que dès le départ, les audiences soient retransmises en direct, mais c’est toujours un pas que cela se fassent progressivement comme nous le constatons. Je crois qu’il y a un témoignage d’un monsieur qui a passé 40 jours en prison menotté, tout simplement parce qu’il a pris une bête dans la faune pour manger. Ce monsieur qui a témoigné avec les menottes a dit, maintenant que j’ai parlé et j’ai montré les menottes, je peux mourir.

Savoir News : Lorsque vous écoutez ces témoignages, que ressentez-vous ?

Mme Kanny Sokpoh Diallo : Tout être humain qui écoute cela, le premier sentiment, c’est l’indignation, c’est la révolte qu’on puisse traiter son prochain, son compatriote comme cela. C’est l’indignation, la révolte et aussi surtout, la compassion. Et je dis que c’est un pas, parce qu’il y a quelques années, ce monsieur ne pouvait pas aller devant une commission dire que tel commandant ou tel capitaine m’a enfermé pendant 40 jours. Il serait repris automatiquement peut être que, c’est en ce moment que son sort sera scellé. Je dis c’est un pas, ces audiences qui se tiennent, même si la population n’est pas très contente de la manière dont ça se passe. Elle qui aurait souhaité la retransmission en direct, et surtout voir les présumés auteurs venir demander pardon pour les actes qu’ils auraient causé, mais je dis que c’est un pas.

Savoir News : Comment comptez-vous amener ceux qui sont encore septiques, à adhérer aux travaux de la CVJR ?

Mme Kanny Sokpoh Diallo

: Je comprends parfaitement le scepticisme de la population, parce qu’il est dû à l’histoire du Togo, mais aussi aux vécus passés et surtout les vécus quotidiens de la population. Et peut être, si nous avions commencé le travail un peu plutôt, et on avait fait un travail fourni de sensibilisation, il y aurait plus d’adhésion. Mais nous ne perdons pas espoir, parce que nous croyons à la réconciliation nationale, nous croyons à la plateforme citoyenne, justice et vérité. Le Togo ne peut pas se construire sans la réconciliation et nous savons que c’est un processus long. Même si, nous avons décidé aujourd’hui de nous battre pour mettre en place les jalons d’une réconciliation nationale, même si nous ne profitons pas de cela, je suis sûre, qu’au moins nos petits enfants vont en profiter. Nous devons laisser un Togo où il fait bon vivre pour la postérité. Nous voudrions que tous les fils et filles du Togo restent dans le pays pour le construire.

Savoir News : Vous plateforme n’êtes pas déjà découragée ou abattue face à ce scepticisme ?

Mme Kanny Sokpoh Diallo : Pas du tout, parce que nous comprenons cela. Même par rapport à l’expérience d’autres pays, ce n’est pas tout de suite que les gens adhèrent. La réconciliation n’est pas comme une maladie ou un petit paludisme. On crée une commission et celle-ci donne quelques comprimées, non. La réconciliation, c’est un processus long, très long.

Savoir News : Quel message avez-vous à l’endroit des Togolais dans le cadre de la mission de la CVJR ?

Mme Kanny Sokpoh Diallo :

Ce que je peux dire à la population, c’est que, nous à la plateforme citoyenne, justice et vérité, nous comprenons profondément les problèmes et les préoccupations de la population. Nous sommes avec elles et nous souhaitons de leur part, une indulgence, même si elle trouve des failles au niveau de la CVJR. Nous sollicitons leur indulgence. Nous voudrions que la population garde une certaine objectivité, que la population comprenne que, un processus de réconciliation, c’est un processus long, qu’elle comprenne que, nous ne sommes pas à la plateforme citoyenne justice et vérité, pour défendre l’intérêt de quelqu’un. Nous défendons l’intérêt de la population et nous savons qu’elle a des préoccupations et nous savons que, en essayant de trouver une solution à cette préoccupation, elle va adhérer. Nous leur demandons patience pour contribuer à notre manière à créer les conditions pour que les togolais arrivent à se pardonner, à se considérer tout simplement comme togolais dans l’intérêt de notre cher Togo, l’or de l’humanité.

Propos recueillis par Lambert ATISSO

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