Riposte au Vih : Respect des droits humains, une arme efficace

Rencontrée dans un centre de prise en charge, Afi (22 ans), une personne vivant avec le Vih nous a confié qu’elle dépense chaque trimestre 3000FCFA pour le trajet Kpogan-Lomé-Kpogan pour sa prise en charge, alors qu’il y a des centres de prise en charge sur le trajet Lomé-Kpogan (environ 15 Km au de Lomé, capitale togolaise).

Interrogée, elle n’a pas hésité à nous en expliquer : « c’est à cause des regards…Je fuis par précaution. C’est une stratégie de protection ».

« Chaque trimestre, je viens de Kpogan pour fuir les regards. J’allais dans un premier centre. Après quelques mois de fréquentation, j’ai vu de loin, l’infirmier de la famille entrer dans le même centre. J’ai alors changé de centre… C’est finalement le troisième centre que je fréquente, pour m’éviter des problèmes de discrimination.  Je fais beaucoup d’efforts pour que mon infection par le Vih reste secrète. Un de mes amis a failli en mourir… Franchement, la stigmatisation est un enjeu de santé publique avec un impact négatif majeur… », nous a-t-elle expliqué.

La stigmatisation est un poison.

« La discrimination est un poison, je vous le dis. Et il est mortel. Les gens l’ont subi, certains en sont morts. D’autres ont passé des années à déménager… La discrimination est l’une des conséquences de la stigmatisation dont font l’objet les PvVih. Mais le fait de vivre en marge de la société rend vulnérable aux IST, et on peut aussi finir par perdre l’estime de soi, et laisser libre cours à cette tueuse dépression… », a ajouté Afi.

La lutte contre le Vih et le Sida est un impératif et toutes les composantes de toutes les nations doivent y contribuer car, toute forme de négligence ou d’exclusion est une poche de résistance, qui peut relancer les actions du virus. Mais le constat est que, même si la prise en charge existe, la discrimination dont sont victimes des personnes vivant avec le Vih (Pvvih) est un frein à la riposte.

Lutter contre ces traumatismes

Pour Koffi (parajuriste, PvVih), la discrimination et la stigmatisation sont des traumatismes, difficile à effacer… « On y fait face dans nos familles, à l’église, au travail, dans la rue. On peut te refuser du travail à cause de ton orientation sexuelle et tout ça amène le Pvvih à se retrouver sans abri et confrontée à la pauvreté, ce qui complique davantage l’accès aux services de santé, alors que c’est son droit en tant qu’être humain », déplore Koffi, qui est également un HSH (homme un ayant des relations sexuelles avec un autre homme).

Même situation au niveau des professionnels du sexe (PS), souvent maltraitées, désavouées même par les membres de leur famille. Gina (nom d’emprunt) est une ancienne PS qui, aujourd’hui accompagne ses consœurs pour les mesures préventives et aussi la prise en charge des Pvvih dans sa communauté. Pour elle, la discrimination est vraiment une entrave à la prise en charge. Et même s’il y a une légère régression, le mal existe et fait partie de leur quotidien. Il faut donc accentuer la sensibilisation.

La question la question du Vih, santé sexuelle et reproductive, droits humains était en juillet 2025, au cœur de l’une des sessions « SHE & Rights » co-organisée par Citizen News Service (CNS) et ses partenaires.

Selon Letlhogonolo Mokgoroane, seules 40 % des jeunes femmes d’Afrique subsaharienne ont une connaissance approfondie de la prévention du Vih.

« Dans certains pays, moins de 50 % des femmes ont accès à une contraception moderne. La violence sexiste reste extrêmement répandue : en Afrique du Sud, une femme est tuée toutes les trois heures et une femme sur trois a subi des violences conjugales. Les victimes de violences ont un risque 50 % plus élevé de contracter le Vih », a déploré Letlhogonolo Mokgoroane lors de la dernière « SHE & Rights » sur la question du Vih, santé sexuelle et reproductive, droits et justice.

Mme Letlhogonolo Mokgoroane est représentante légale et responsable du contentieux stratégique et de la recherche chez OurEquity, Afrique du Sud. Elle est également membre de la Johannesburg Society of Advocates.

Beaucoup d’avancées, mais des défis demeurent

Notons que le développement de services plus efficaces pour prévenir l’infection à Vih et traiter les PvVih a déjà entraîné, au niveau mondial, une baisse de 54 % des décès liés au sida et une baisse de 52 % des nouvelles infections à Vih entre 2010 et 2020. De même, en 2020, plus de la moitié (73%) de l’ensemble des PvVih a eu accès à un traitement antirétroviral (ARV), selon les statistiques de ONUSIDA.

L’organisation onusienne souligne que les dernières décennies ont été marquées sur le continent africain, par de remarquables avancées dans la lutte contre le virus : les nouvelles infections à Vih en Afrique de l’Est et australe ont diminué de 57 % entre 2010 et 2023. Par ailleurs, le dernier rapport de ONUSIDA souligne que la région de l’Afrique de l’Ouest et du Centre est passée en quelques années, de 54% de couverture en ARV à 81%.

« Aujourd’hui, plus de 20 millions de personnes en Afrique subsaharienne ont accès à un traitement antirétroviral, ce qui témoigne de l’engagement des gouvernements, des communautés et des partenaires internationaux », a déclaré Letlhogonolo Mokgoroane, lors de sa communication.

Elle a cependant précisé, que ces avancées ne profitent pas à l’ensemble de la population, et les groupes confrontés à la discrimination et à la stigmatisation sont souvent laissés pour compte.

« Bien souvent, c’est la stigmatisation et la discrimination dont les personnes sont victimes ou pourraient être victimes, qui les poussent à ne plus avoir accès aux services dont elles ont besoin », a-t-elle expliqué, soulignant que le chemin est loin d’être terminé.

« Rien qu’en 2024, on estime à Environ 800 000 le nombre de nouvelles infections par le Vh en Afrique subsaharienne, dont 63 % concernaient des femmes et des filles. Les adolescentes et les jeunes femmes de 15 à 24 ans ont plus de deux fois plus de risques de contracter le Vih que leurs homologues masculins », a-t-elle dit, soulignant que ces chiffres nous rappellent que le Vih demeure une crise de santé publique.

Mais le VIH n’est pas seulement un problème médical : il est intimement lié à des facteurs sociaux, économiques et juridiques.

« Pour mettre véritablement fin au VIH en tant que menace pour la santé publique, nous devons regarder au-delà du virus lui-même et aborder le contexte plus large dans lequel il se propage », a ajouté Mme Letlhogonolo.

Choisir la bonne voie : la voie des droits pour mettre fin au sida

Elle explique que la criminalisation des relations homosexuelles et du travail du sexe pousse les populations clés à la clandestinité, les privant des services de santé essentiels.

« Dans 31 pays africains, les relations homosexuelles restent criminalisées, ce qui complique l’accès des personnes LGBTQIA+ à la prévention et aux soins du VIH. Les professionnel(le)s du sexe, 13 fois plus susceptibles de vivre avec le VIH que la population générale, sont souvent victimes de harcèlement et de violence, ce qui accroît encore leur vulnérabilité. Les lois et politiques discriminatoires à l’égard des personnes vivant avec le VIH, des personnes LGBTQIA+, des professionnel(le)s du sexe et d’autres groupes marginalisés non seulement violent les droits humains, mais alimentent également l’épidémie.

Elle a cité le cas du Nigéria, où la loi sur l’interdiction du mariage entre personnes de même sexe a entraîné une baisse de 41 % de l’accès aux services liés au VIH chez les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes.

Pour Pam Ntshekula qui est une fervente défenseure des droits et de la sécurité des travailleuses du sexe et chargée de lobbying au sein du Sex Workers Education and Advocacy Taskforce (SWEAT) en Afrique du Sud, la dépénalisation complète du travail du sexe est cruciale pour améliorer la santé, la sécurité et les droits des travailleurs du sexe.

La criminalisation les pousse à éviter les cliniques par peur de la stigmatisation et des mauvais traitements, ce qui limite leur accès aux services de santé sexuelle. Elle entrave également la prévention et l’éducation sur la santé et impacte négativement leur santé mentale.

Pour Pam Ntshekula qui est une fervente défenseure des droits et de la sécurité des travailleuses du sexe et chargée de lobbying au sein du Sex Workers Education and Advocacy Taskforce (SWEAT) en Afrique du Sud, la dépénalisation complète du travail du sexe est cruciale pour améliorer la santé, la sécurité et les droits des travailleurs du sexe. La criminalisation les pousse à éviter les cliniques par peur de la stigmatisation et des mauvais traitements, ce qui limite leur accès aux services de santé sexuelle. Elle entrave également la prévention et l’éducation sur la santé et impacte négativement leur santé mentale.

De son côté, Abhina Aher, directrice générale de la Fondation TWEET et ancienne présidente du Réseau Transgenre Asie-Pacifique déplore la stigmatisation intersectionnelle à laquelle sont confrontées les personnes transgenres, soulignant que nombreuses d’entre-elles ont été licenciées simplement parce qu’elles sont transgenres.

« Je travaillais pour l’USAID. J’ai perdu mon emploi simplement parce que je suis transgenre. Beaucoup de personnes transgenres ont perdu leur emploi », a déclaré Abhina Aher, directrice générale de la Fondation TWEET et ancienne présidente du Réseau Transgenre Asie-Pacifique.

Le droit à la santé et l’égalité des sexes sont intrinsèquement liés.

Pour Shobha Shukla (une journaliste et militante des droits des femmes), nous devons veiller à ce que l’égalité des sexes et le droit à la santé soient reconnus comme des droits humains fondamentaux dans tous les pays.

« Le droit à la santé est indissociable de l’égalité des sexes et des droits humains. Les progrès vers l’ODD 3 continuent d’être freinés dans la région Asie-Pacifique, notamment en ce qui concerne l’accès universel à la santé et aux droits sexuels et reproductifs ; les maladies transmissibles et non transmissibles ; la couverture sanitaire universelle ; et l’accès pour tous aux vaccins, diagnostics et médicaments », a déclaré Shobha Shukla, intervenante principale pour l’ODD 3 au Forum politique de haut niveau des Nations Unies (FPHN 2025).

« Les services de santé essentiels doivent inclure les services de santé sexuelle et reproductive, notamment l’avortement médicalisé et les soins post-avortement, l’hygiène menstruelle et les services de santé mentale, en accordant une attention particulière aux femmes, aux adolescentes, aux personnes handicapées, aux populations autochtones, aux communautés de genres divers, aux personnes âgées, aux jeunes, aux travailleurs migrants, aux réfugiés, aux personnes vivant avec le VIH, aux travailleurs du sexe et aux consommateurs de drogues, entre autres. Ils doivent également inclure tous les services de santé et de soutien social destinés aux survivantes de violences sexuelles et sexistes », a-t-elle ajouté.

L’appel à la tolérance

« Il n’y a pas à proprement dit, de lois qui protègent les PS au Togo. Même des forces de l’ordre sensés nous protéger en tant que population, en abusent et cela ne sert à rien d’aller se plaindre : on te demande devant tout le monde quel travail tu fais dans la vie ; et tu es confondue. Les nôtres qui subissent des abus sexuels n’en parlent pas car, cela ne servirait à rien. Si l’environnement est favorable, cela favorise la prise en charge dans de meilleures conditions et les Pvvih seraient plus rassurées « , a longuement expliqué Gina.

Elle appelle à plus de tolérance, à divers niveaux car, c’est une question de santé, de vie. Tous et toutes, nous sommes des êtres humains. La lutte contre le Vih doit prendre en compte toutes les composantes de la société. Aucune exclusion ne favorise l’atteinte des objectifs, a ajouté Gina.

Rappelons que l’enquête nationale de surveillance de seconde génération menée en 2023 (SSG2023), indique que la prévalence est de 8,7% au niveau des HSH et 5,8% au sein des PS, alors qu’elle est de 1,7 au sein de la population générale.

Selon l’Observatoire droits humains (ODH, un outil du Réseau des associations de personnes vivant avec le VIH/Sida, appelé RAS+) en 2024, 60.629 personnes ont été sensibilisées sur les droits humains en lien avec le VIH au Togo. Parmi elles, 139 professionnels du sexe et 645 hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) ont bénéficié d’informations préventives. Par ailleurs, des prestataires de santé et des personnes ressources ont été formés, afin d’améliorer l’accès aux soins et aux services dédiés. L’Observatoire a pour mission de contribuer à l’atteinte des objectifs nationaux de lutte contre le VIH/Sida par une amélioration du respect des droits des PVVIH, des PS et des HSH.

« La lutte contre le VIH ne peut être efficace que si elle repose sur le respect des droits humains », a déclaré Mme Kanny Yayé Diallo (directrice pays de l’ONUSIDA Togo-Bénin) lors de la présentation du dernier rapport sur la riposte nationale.

Elle a déploré le manque de signalement des cas de discrimination, l’insuffisance des activités de sensibilisation et le faible accompagnement des bénévoles et des survivants.

Le coordonnateur national du Secrétariat Permanent du Conseil National de Lutte contre le Sida, les hépatites virales et les infections sexuellement transmissibles (SP/CNLS-IST), Professeur Vincent Palokinam Pitché, a insisté sur l’importance de la solidarité dans la riposte contre le VIH : « La solidarité n’est pas une faveur, mais un droit. Chaque individu mérite respect, dignité et égalité des chances », a-t-il dit à la fin des travaux.

« Si nous intensifions la prévention, si nous travaillons à éliminer les inégalités entre les sexes et si nous mettons fin à la stigmatisation et de la discrimination liées au VIH, alors nous serons sur le bon chemin pour mettre fin au Sida d’ici comme enjeu de santé publique », a-t-il dit. FIN

Ambroisine MEMEDE